Rendez-vous de Juillet
Au détour d'un clic un film bavard qui laisse de belle manière transpirer une époque. Rendez-vous de Juillet (et pourquoi donc ?) de Jacques Becker, blockbuster de 1949 avec presque deux millions d'entrées dans les salles pourtant clairsemées du cinéma français d'après guerre.
Les trentes prochaines années sont à portée de main, il n'y a plus qu'à se baisser et le cinéma français à (re)naître ne s'en est pas privé. L'arrière boutique est encore des plus classique, le monde du théâtre et ses acteurs forcément naïfs, ses actrices bien sages aux voix trop aiguës, toutes ces portes qui claquent et ces bleuêtes intrigues amoureuses ... la comédie de boulevard et "les enfants du paradis", sans le talent d'un Lubitsch, embarrassent et fatiguent.
Baissons nous et glanons. Nous ramassons au hasard un véhicule amphibie traversant la Seine, un émetteur audio révolutionnaire, des barbus sans djellaba, pléthore de téléphones pour des ados accrocs, des groupies dans une ambiance jazzie.
Vous n'y êtes pas ? Mais si, Saint Germain des Près, ses caves stéréophoniques, ses poètes strabiques, ses étudiants pré-révolutionnaires à grosses montures. La "mythologie" est en marche sept ans avant sa révélation par Roland Barthes. "Les Choses" occupent désormais le devant de la scène quinze ans avant leur chosification par Georges Perec. La tribu rassemble ses premiers indigènes sous la coupe d'un Daniel Gélin lumineux anticipant de six ans l'engouement de toute une génération pour l'ethno tourisme de "Tristes Tropiques". Les filles couchent déjà pour réussir mais honteuses, n'en tirent pas encore profit. Les vertueuses s'apprètent déjà à leur céder la place ...
Et de penser à cette génération de "happy few" qui, bien que croisant bientôt le drame algérien et toute timorée qu'elle soit au sortir de la guerre (mais plus pour très longtemps), adopte déjà les stéréotypes d'une société de consommation biberonnant encore et toujours les générations suivantes.
Ce film, malgré toutes ses imperfections, n'est ni plus ni moins qu'une genèse que l'on prendra plaisir à ausculter. C'est aussi le maillon permettant à deux mondes de coexister désormais plus sereinement dans nos esprits.