« Cette destinée est mystérieuse pour nous car nous ne comprenons pas pourquoi les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domestiqués, les lieux secrets de la forêt lourds de l’odeur de tant d’hommes, et la vue des belles collines souillée par des fils de fer qui parlent. Où sont les fourrés profonds ? Disparus. Où est l’aigle ? Disparu. C’est la fin de la vie et le commencement de la survivance. »
Déclaration du chef indien Seattle
au président des Etats-Unis (1894)
Suite à nos échanges sur la notion de temps, je ne peux m'empêcher de
partager avec vous cet extrait de "La danse de la vie" d'Edward T. Hall :
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Considérons ici comment la langue des Hopi influence leur manière de
penser. Les réflexions qui suivent s'inspirent directement des travaux d'un
éminent pionnier de la linguistique, Benjamin Lee Whorf, linguiste et
ingénieur chimiste, dont la théorie est une description non seulement
scientifique, mais encore circonstanciée.
Dans toutes les langues occidentales, le temps est traité comme un
flux continu composé d'un passé, un présent et un futur. Nous avons réussi,
en quelque sorte, à concrétiser ou extérioriser la manière dont nous nous
représentons le passage du temps. Nous pouvons ainsi avoir l'impression de
maîtriser le temps, de le contrôler, le passer, le gagner ou le gaspiller.
Aussi, le processus du « temps qui passe » nous semble réel et tangible
parce que nous pouvons lui attacher une valeur numérique. Alors que dans la
langue hopi, les verbes ne se conjuguent ni au passé, ni au présent, ni au
futur. Ils n'ont pas de temps, mais indiquent la validité d'une affirmation
–la nature de la relation entre celui qui parle et sa connaissance, ou son
expérience de ce dont il parle. Quand un Hopi dit : « Il a plu cette nuit »,
l'auditeur sait comment cet interlocuteur hopi a su qu'il avait plu : ou il
était dehors et la pluie l'a mouillé, ou il a regardé dehors et il a vu
qu'il pleuvait, ou bien quelqu'un est entré chez lui et lui a dit qu'il
pleuvait, ou encore, il a constaté, en se réveillant le matin, que le sol
était mouillé, et il en a déduit qu'il avait plu.
Dans les langues occidentales, des termes associés à la notion de
temps, comme « été » et « hiver », sont des noms, et ceci leur donne une
qualité matérielle dans la mesure où on peut les traiter comme n'importe
quel autre nom, les compter et les mettre au pluriel. Autrement dit, ils ont
le même statut que des objets. Alors que pour les Hopi, les saisons « sont »
plutôt des adjectifs (l'adjectif en est le plus proche équivalent dans les
langues occidentales). Les Hopi ne peuvent dire de l'été qu'il est chaud,
parce que l'été est la qualité « chaud », exactement comme une pomme a la
qualité « rouge ». « Été » et « chaud » ne font qu'un! L'été est un état :
chaud. Rien dans le terme « été » n'implique la notion de temps, ou l'idée
que du temps a passé – au sens où on l'entend dans les langues occidentales.
Il est clair, par ailleurs, que l'accent que nous mettons sur le
fait de gagner du temps va de pair avec sa quantification et son statut de
nom, impliquant une valorisation particulière de la vitesse, comme le
démontre souvent notre comportement.
Vivre, comme les Hopi, dans un éternel présent, et vivre le «
maintenant » à se préparer à des cérémonies, ne donne pas l'impression que
le temps soit un implacable tyran, ni qu'il soit assimilé à l'argent et au
progrès, comme il l'est en Occident. Pour les Occidentaux, le temps est
susceptible de s'additionner, ce qui les empêcha d'oublier qu'il s'écoule.
Ceci peut d'ailleurs être pénible. Pour les Hopi, au contraire, l'expérience
du temps est plus naturelle – comme la respiration, elle est un élément
rythmique de la vie. Ainsi, les Hopi, à ma connaissance, ne se sont jamais
préoccupés de philosopher sur « l'expérience » du temps, ou la nature du
temps.
Bien cordialement,
Alain